Réexaminer le concept de réconciliation
VICTORIA, Canada — Ce jour-là, la salle était comble. Des représentants du gouvernement, des chefs autochtones et religieux, des étudiants et des universitaires ainsi que des membres de la communauté s’étaient réunis pour écouter le professeur Jeremy Webber, doyen de la faculté de Droit de l’université de Victoria, lors d’un symposium sur la réconciliation entre les peuples autochtones et non autochtones du pays.
L’évènement visait à promouvoir une meilleure compréhension d’une question fondamentale soulevée par M. Webber dans ses remarques liminaires : « Comment aborder l’engagement avec la religion et la spiritualité dans le processus de réconciliation ? »
Pour la communauté bahá’íe du Canada, cette question est essentielle à un processus de promotion de la justice et de rétablissement de relations de confiance, d’amitié et de coopération entre les peuples autochtones et non autochtones du Canada.
Le sujet des relations entre autochtones et non-autochtones est activement discuté sur la place publique depuis des dizaines d’années. Cette discussion a été dynamisée par un rapport publié en 2015 par la Commission de vérité et réconciliation (CVR) du Canada relative aux pensionnats indiens, rapport qui étudie les répercussions sur les enfants, les familles et les communautés autochtones du système de pensionnats indiens qui dura plusieurs décennies. Ce système de scolarité visait à assimiler de force les enfants autochtones dans la société canadienne en les éloignant de leur famille, de leur culture, de leur langue et de leurs traditions spirituelles. Son effet est décrit par la CVR comme un génocide culturel.
La communauté bahá’íe du Canada a participé activement aux travaux de la CVR. Il y a des bahá’ís parmi les survivants des pensionnats et certains ont témoigné devant la Commission. Lors des rassemblements nationaux de la CVR tenus dans tout le pays, des dizaines de bahá’ís se sont portés volontaires pour aider les participants.
En 2015, l’Assemblée spirituelle nationale des bahá’ís du Canada a présenté un mémoire et offert un présent à la CVR, accompagnés d’une présentation publique par Deloria Bighorn, présidente de l’Assemblée spirituelle nationale des bahá’ís du Canada. La communauté bahá’íe a également produit un court métrage, The Path Home (en anglais) (Le retour à la maison), qui a été projeté à Ottawa en association avec le dernier rassemblement national.
C’est dans ce contexte plus large que la communauté bahá’íe du Canada a travaillé avec la faculté de Droit de l’université de Victoria et le Centre d’études sur la religion et la société ainsi qu’avec la fondation Pierre Elliott Trudeau pour proposer en mars dernier un symposium intitulé « Repenser la relation entre spiritualité et réconciliation (en anglais) ».
« Nous sommes ici pour créer un monde dans lequel les gens souffriront moins tandis que leur noblesse sera mieux reconnue. Notre travail consiste à recréer une société sur des principes de justice et d’unité. »
—Deloria Bighorn
L’événement a réuni un certain nombre de penseurs de premier plan, dont plusieurs des plus éminents spécialistes du droit autochtone au Canada. Il a eu lieu à la First Peoples House (Maison des Premières Nations) de l’université de Victoria et a coïncidé avec le lancement du premier programme de droit autochtone au monde, ce qui a permis d’examiner la façon dont la spiritualité est conceptualisée et appliquée dans un domaine juridique en évolution ainsi que les implications que cela pourrait avoir pour penser plus largement au changement social.
S’exprimant lors du symposium au nom de la communauté bahá’íe, Mme Bighorn a exprimé son espoir : « Nous sommes ici pour créer un monde dans lequel les gens souffriront moins tandis que leur noblesse sera mieux reconnue. Notre travail consiste à recréer une société sur des principes de justice et d’unité. »
Le symposium a débuté le 8 mars par une conférence publique au centre-ville de Victoria, organisée pour coïncider avec la semaine d’un festival annuel de recherche, d’art et d’innovation. En plus des 750 personnes présentes, 5 000 personnes ont assisté en ligne à l’ouverture au cours de laquelle M. John Borrows et M. Val Napoléon ont parlé (en anglais) du rôle du sacré dans le droit autochtone. Ils dirigent un nouveau projet à la faculté de Droit de l’université de Victoria qui offrira un diplôme conjoint en droit autochtone et en droit commun.
Le 9 mars, 140 personnes se sont réunies pour une série de tables rondes sur le passé, le présent et l’avenir de la réconciliation. Ces discussions étaient basées sur un document de réflexion (en anglais) préparé pour le symposium ; les participants ont débattu des diverses façons dont la colonisation au Canada a perturbé le lien entre les peuples autochtones et leur patrimoine spirituel et culturel.
Alors que les présentations portaient sur les effets tragiques de la colonisation, des occasions d’espérer et des moments d’interaction interculturelle ont également été soulignés. L’un de ces moments a été celui où Mme Chelsea Horton a décrit les efforts déployés dans les années 1960 par les bahá’ís autochtones et non autochtones du Canada pour susciter un discours public sur le « droit à une identité » en respectant et en favorisant les cultures autochtones.
Le thème du changement social a été développé par M. Roshan Danesh, avocat et bahá’í, qui a parlé lors de la première table ronde. M. Danesh a commenté : « Apprendre à parler de réconciliation et réfléchir à la question créent un nouveau dynamisme, de nouvelles opportunités ainsi que des tensions. » Il a mis au défi les personnes présentes de « s’interroger sur la structure de notre société… tandis que nous luttons pour prendre les actions transformatrices nécessaires ».
Douglas White, directeur du Centre des traités pré-confédération et de réconciliation à l’université de Vancouver Island, a traité du genre de transformations dont la société canadienne a besoin. Il a noté que malgré l’importance des processus juridiques, elles sont « insuffisantes par elles-mêmes en raison de leur caractère hyper-contradictoire ».
« Comment pouvons-nous encourager les Canadiens à se montrer différents ? » M. White – qui est membre de la Première Nation Snuneymuxw et bahá’í – a poursuivi, demandant si les aspirations pouvaient transcender la simple coexistence et la tolérance. « Je ne veux pas que mes enfants soient tolérés. Je veux que vous aimiez mes enfants, afin que leur bien-être soit une préoccupation pour tous les Canadiens.
M.Borrows a clôturé les débats en invitant les participants à un travail actif de réflexion sur les événements de la journée, afin qu’ils puissent être mieux compris. Il a indiqué que cela implique « de rencontrer, dans nos relations, un mystère qui nous dépasse ».
Ce symposium était le dernier d’une série de contributions de la communauté bahá’íe au discours public national sur la réconciliation entre les peuples autochtones et non autochtones au Canada.